Le piège à cons

Marcelo Bielsa est en Argentine. Le club et ses supporteurs sont hébétés et meurtris. Tout le monde essaye de comprendre ce qui a pu se passer et comment on en est arrivé là. Nous reprenons ici les faits tels qu’ils ont pu être reconstitués en tentant de rester aussi neutres que possible.

Ce que l’on sait avec une quasi-certitude

• La volonté de Marcelo de rester à l’OM

Marcelo Bielsa voulait rester et Labrune et lui étaient tombés d’accord sur un contrat de 2 ans. C’est du moins ce qu’en disent les deux protagonistes.

Après une série de rencontres aux mois de mai, juin et début juillet, nous avons réussi à trouver un accord sur les aspects de la prolongation pour les saisons 2015-2016 et 2016-2017, du contrat qui s’était terminé le 1er juillet 2015.

À ces rencontres, en plus de vous-même (Vincent Labrune, ndlr) et moi-même, ont participé MM. Philippe Pérez et Luc Laboz. Tout était clair pour qu’aucun des points considérés ne soit revu plus tard. Il ne manquait plus que la signature.

Depuis mi-juillet, avec tous les membres du staff, nous travaillons ensemble, même si la relation n’a pas été définie de façon officielle ; il ne manquait que les contrats écrits.

Lettre de démission de Marcelo Bielsa

Nous avions tous deux trouvé depuis plusieurs semaines un accord pour la prolongation de son contrat.

Communiqué de Vincent Labrune

• La réunion avec l’avocat de MLD et Thierry Pérez pour revoir certains points de l’accord précédent

Une réunion s’est tenue mercredi entre Bielsa, Pérez et Igor Levine, l’avocat de MLD, sans que Vincent Labrune ne soit présent :

Mercredi dernier, j’ai été convoqué par le directeur général, Philippe Perez, pour une réunion à laquelle a également participé l’avocat Igor Lévine, représentant de Margarita Louis-Dreyfus.

Lettre de démission de Bielsa

J’ai, ce soir, du mal à comprendre comment une simple réunion, mercredi, sur des détails techniques de ce contrat avec l’avocat de l’actionnaire et mon directeur général puisse être à l’origine de ce départ précipité.

Communiqué de Labrune

PAC-4

Dans cette réunion, l’OM a proposé de revoir certains points de l’accord passé entre Labrune et Bielsa. Une source du staff évoque plutôt une volonté de préciser certains termes du contrat à des fins de conformité juridique. Cette version est isolée.

Ils m’ont informé qu’ils voulaient changer quelques points au nouveau contrat, à l’accord que nous avions déjà trouvé et tous deux m’ont dit qu’ils avaient le pouvoir et la représentativité nécessaires pour assumer les positions qu’ils allaient me transmettre.

Lettre de démission de Bielsa

• Un mercato consensuel

Échaudé par la fameuse conférence de presse de Bielsa l’an dernier, Labrune l’a laissé contrôler en grande partie le mercato, l’entraîneur prenant quant à lui son parti des orientations financières définies par l’actionnaire.

Aussi Bielsa n’a-t-il pas chargé Labrune et n’a pas mentionné le mercato dans sa lettre de démission. Il l’a confirmé lors de conférence de presse d’avant-match jeudi en dédouanant le président de l’OM dans sa gestion des transferts.

L’Argentin a même donné son accord sur l’ensemble des joueurs qui sont arrivés, y compris Diarra et Diaby, qu’il ne souhaitait pas initialement, mais pour lesquels il a fait une concession.

Par ailleurs, Vincent Labrune et d’autres sources le confirment : tout a été mis en œuvre pour que les souhaits de recrutement de Marcelo soient exaucés, jusqu’à celle de Milton Casco, souhaitée par Bielsa, mais qui n’emballait pas Labrune, qui lui préférait Roncaglia.

Le projet du club a changé entre mai et juillet. J’ai dû m’adapter à la situation économique du club. De mon point de vue, le président a fait un effort énorme pour renforcer l’effectif.

Toutes les décisions concernant l’avenir de l’effectif ont été prises entre le président et moi. Aucune décision prise n’a été imposée ni par moi ni par le président. Elles ont toutes découlé d’un accord commun, concernant tous les joueurs qui viennent.

Bielsa, jeudi 6 août

PAC-5

Alors que tous ses souhaits avaient été exaucés. L’attitude et les propos positifs de Marcelo Bielsa, jeudi, lors de sa première conférence de presse de la saison (le lendemain de cette entrevue) sont d’ailleurs en total décalage avec l’analyse publique qu’il vient d’en faire.

Communiqué de Labrune

• Le départ de Van Winckel

Le premier adjoint de Bielsa et fidèle absolu de l’Argentin annonce son départ le lendemain de la réunion qui a tout déclenché. Personne n’a vu venir le coup et l’intéressé indique qu’il prend cette décision après mûre réflexion.

Après mûre réflexion, j’ai décidé de ne pas rester à l’Olympique de Marseille.

Déclaration de Jan Van Winckel

Puisque Bielsa affirme avoir pris sa décision dès mercredi, on peut imaginer qu’il en a informé son adjoint et que celui-ci a pris les devants.

http://www.omlive.com/fil-infom/officiel-jan-van-winckel-quitte-lom

Ce qui est supputé dans la presse

• Bielsa détestait Philippe Pérez, le directeur général du Club (La Provence)

C’est probable. L’homme est autoritaire et, pour Bielsa, l’autorité était incarnée par l’actionnaire, Margarita Louis-Dreyfus, et le Président, Vincent Labrune. Bielsa limite ses interlocuteurs. Il s’est d’ailleurs interrogé sur la légitimité des émissaires de Margarita présents lors de la fameuse réunion.

• Le désaccord sur la reconduction automatique de la dernière année de contrat de Bielsa (L’équipe, La Provence)

Probable aussi. Bielsa place ses principes de jeu au-dessus de tout dans l’ordre des priorités et n’aime pas subir la pression d’un objectif dont la réalisation a par nature quelque chose d’aléatoire. Il l’a maintes fois affirmé pendant la saison dernière : le travail de l’entraîneur et des joueurs est de se placer dans les meilleures conditions pour gagner, mais la victoire ne dépend pas que cela. Par ailleurs, se voir imposer une obligation de résultat outre celle des moyens peut avoir blessé son orgueil.

PAC-6

• Un désaccord financier (La Provence)

On parle d’une prime de 300 000 euros pour la cellule de recrutement (La Provence), ou encore du reversement des salaires des frères Torrente qui ont quitté l’OM cet été, ainsi que de leurs avantages en nature à Bielsa directement.

Cela semble improbable. Voir Bielsa réclamer trois voitures de fonctions et trois téléphones portables est ubuesque. Au reste, Bielsa a affirmé que les points d’achoppement n’étaient pas d’ordre financier et Labrune, dans son communiqué, parle de « détails techniques ». Il est nettement plus probable que Bielsa ait voulu négocier une enveloppe pour s’adjoindre de nouveaux adjoints, notamment pour inscrire la politique du club dans la durée.

• Un homme encombrant (Libération)

Bielsa n’avait pas pris une grande place que dans le cœur des supporteurs de l’OM. Au club aussi, selon Matthieu Grégoire, il aurait accumulé un certain pouvoir. Le personnel connaissait son caractère imprévisible et il était terrorisé à l’idée de le contrarier. Mais le personnel reconnaît également qu’il a aidé l’OM à se structurer à tous les étages.

Probable. Bielsa est bien connu pour son intransigeance est sa quête permanente de perfection. Il peut être très prévenant, mais aussi « calculer dégun », comme on dit à Marseille. Il n’hésite pas non plus à s’ingérer dans toutes les strates du club dans lequel il évolue. Son altercation à Bilbao avec le maître d’œuvre du chantier qui retardait la livraison du centre d’entraînement en est une preuve éclatante.

 Enfin, des témoignages, orientés, mais concordants, font état d’un côté « diva » de Bielsa, homme aux exigences indéfiniment renouvelées.

No se va

• Un plan B ?

Il semble que Bielsa et Labrune aient travaillé sur un plan B – en l’occurrence un départ de Bielsa – évidemment moins tardif et dans des conditions moins rocambolesques que celui qui a eu lieu. On sait d’après plusieurs sources que Bielsa a été approché par la sélection mexicaine et par West Ham.

Probable, mais obsolète. Le plan initial de Labrune était semble-t-il de garder Bielsa un an. En tout cas, il devait y avoir renégociation au bout de la première saison. Après l’année catastrophique Baup-Anigo, il fallait calmer les supporteurs et nettoyer les écuries d’Augias. Bielsa apparaissait comme l’homme idoine. De son côté, Bielsa ne voulait à aucun prix courir le risque de revivre le mercato 2014 et préparait une sortie, fût-ce comme moyen de pression.

Scénario de crise

À partir des éléments précédents, on peut essayer de reconstituer un scénario (OMlive).

Après avoir étudié la proposition de West Ham fin mai, Bielsa décide de rester à l’OM pour deux ans supplémentaires. Des négociations ont lieu avec Labrune et un accord global est trouvé.

Néanmoins, Bielsa ne souhaite pas revivre le dernier mercato au cours duquel Labrune l’avait « enfumé». Il lui met donc la pression en repoussant sa signature à son retour de vacances. Depuis le l’été dernier, Bielsa ne fait plus de chèques en blanc à son président.

Dans le même temps, Labrune se démène pour exaucer les vœux de recrutement de Bielsa. Il signe Rekik, Manquillo et Ocampos, qui figuraient de manière emblématique sur la liste de Bielsa en 2014.

Bielsa exige également de recruter Milton Casco, mais Labrune n’est pas convaincu. Bielsa met de nouveau la pression sur Labrune à son retour de vacances en répétant qu’il peut partir à tout moment, son contrat n’étant pas signé.

MLD-11

De son côté, Labrune fait part à Margarita de l’accord défini avec Bielsa pour validation. Celle-ci délègue cette tâche à son avocat, Igor Levine, lequel tique face à certaines exigences du technicien argentin et demande à Labrune d’organiser une table ronde avec l’intéressé pour discuter de ces difficultés. Labrune ne pouvant être présent, il délègue à son tour Philippe Pérez, directeur général du club, qui convoque enfin Bielsa pour une réunion tripartite.

Pour Bielsa, cette audience n’a aucune légitimité. Ses interlocuteurs sur la discussion de son contrat sont Labrune et, éventuellement, Margarita. D’ailleurs, selon la formulation même de Bielsa dans sa lettre de démission, il y a fort à parier que les émissaires de Labrune et de l’actionnaire aient dû lui rappeler qu’ils avaient toute latitude pour lui imposer ces changements.

Les changements imposés par Levine et Pérez sur la reconduction assujettie à une clause de performance font suite à une défiance de l’actionnaire envers le technicien argentin (RMC). C’est une volte-face. Le rejet de ses demandes financières lui montre aussi que le club ne lui laisse pas toute latitude dans le projet sportif. Il n’a plus confiance en personne.

Pour Bielsa, l’intransigeant, il est inacceptable de le défier à trois jours de la reprise du championnat. Sa décision est prise : dès que la réunion sera terminée, il démissionnera. Il prend néanmoins le soin de mettre son fidèle adjoint Jan Van Winckel dans la boucle, car il sait qu’il discute depuis longtemps avec les Émirats. Ce dernier quitte le club le lendemain.

Responsables et coupables

MLD

Elle semble avoir court-circuité Labrune, qui avait mené pour une fois sa barque avec finesse en laissant les clefs à Beilsa. Etait-elle lassée des demandes de Bielsa ? Voulait-elle limiter son pouvoir ? A-t-elle eu la bêtise de ne pas voir qu’elle s’exposait ainsi à sa démission ou cela lui était-il égal, voire l’a-t-elle provoquée ? Difficile de le savoir. Toujours est-il que la direction ne sort pas grandie de ce départ trop tardif qui risque de mettre en péril la saison olympienne.

• Labrune

Bien que dédouané plusieurs fois par Bielsa, notamment sur le mercato, sa responsabilité est grande. On ne laisse pas se tenir une réunion aussi importante avec un homme pareil sans y participer soi-même. L’impact du précédent mercato est aussi à prendre en compte, car tout est parti de là : depuis lors, Bielsa n’avait plus qu’une confiance limitée en son président.

• Bielsa

Il a évidemment sa part de responsabilité. Il aurait pu revenir vers Labrune après la réunion et essayer de raccrocher les wagons au lieu de dissimuler son désaccord lors de sa conférence de presse du jeudi puis de partir en claquant la porte. Il aurait dû avertir les joueurs de sa décision avant les journalistes. Ceux qui ont signé à l’OM pour travailler avec lui peuvent légitimement lui en vouloir. Mais lui reprocher cela, c’est lui reprocher d’être ce qu’il est, à savoir un génie obsessionnel qui ne supporte pas la moindre imperfection, ni chez lui, ni chez les autres.

C’est la définition de l’intransigeance : pas de compromis, surtout sur les questions de confiance.

Cet article est le fruit du travail de Remind, membre du forum

 

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Article lu 7039 fois, écrit le par fourcroy Cet article a été posté dans Edito et taggé , , . Sauvegarder le lien.

5 Réponses pour Le piège à cons

  1. Beau travail d’analyse et de réflexion, basé sur des *faits* et non sur des rumeurs.

    On est finalement assez nombreux à croire en l’orchestration de cette débâcle par MLD herself, aidée ou pas (mais je ne vois pas comment il pouvait ne pas être au courant) par le président délégué.

    Bon débarras pour les uns – en ce qui me concerne : quel gâchis, mais merci pour tout et bon vent, Marcelo !

  2. Merci Remind 😉

  3. On oublie un point essential concernant VLB : quel president laisse un member de son staff travailler pendant un mois sans reel contrat, sachant de un qu’il est completement « loco » et de deux que toute la saison depend de lui vu le recrutement ? VLB 100% responsable !

  4. Magnifique article! Tout est quasiment dit, ce n’est guère plus compliqué que ça. MLD/la haute direction est 100% responsable

  5. Superbe travail les gars !